15.12.13

SUR LA JOIE




Ange Gabriel,
by Andreï Roublev (ca. 1360-1427)
Le commencement de la « fausse religion » est l’incapacité de se réjouir, ou plus exactement le rejet de la joie.(...) La religion de la peur, la religion de la fausse humilité, la religion de la faute, tout cela n’est que le fruit de la « séduction », de la tentation. Combien elle est puissante, cette tentation, non seulement dans le monde, mais aussi au sein de l’Église !...
 Le sentiment de la faute, le moralisme ne « libèrent » pas. La joie est le fondement de la liberté dans laquelle nous sommes appelés « à demeurer fermes ».
Où, quand, comment cette « tonalité» du christianisme s’est-elle estompée, ou plus exactement, où, quand, comment les chrétiens ont-ils été frappés de surdité à son égard ?
Je n’ai aucun conseil à donner. Il n’existe que cette joie faible, vacillante, mais qui, pour moi, est une certitude. Ils n’en veulent pas. Ils veulent parler de « problèmes », se perdre en pur bavardage pour voir comment les « résoudre ». En vérité, il n’y a jamais eu de plus grande victoire du diable dans le monde que cette « psychologisation » de la religion. Pour preuve : on trouve tout ce que l’on veut dans la psychologie ; une seule chose lui est absolument impossible, impensable et inadmissible la joie.
Là où il n’y a pas de joie, le christianisme, de même que la religion, se transforme en « peur », et par conséquent en souffrance. Car, même en ce qui concerne la chute du monde les lamentations ne suppriment pas la joie qui finit toujours par faire surgir « en ce monde » une « tristesse lumineuse ».
 « Le monde d’ici-bas » se divertit, mais il est justement sans joie, car la joie (à la différence de ce que les Américains appellent le fun) ne peut venir que de Dieu, d’en haut. C’est pourquoi le christianisme est entré dans le monde comme étant la joie : non seulement joie du salut, mais salut en tant que joie.
 (...)  La force du péché n’est pas dans la tentation du mal évident mais dans l’enchaînement de l’âme par toutes sortes de vétilles, de passions minables, dans l’impossibilité pour elle, pour notre âme, de « respirer le ciel sans entraves... »
Sans la joie, la piété et la prière sont, pour ainsi dire, privées de la grâce, car leur force est dans la joie. La religion est devenue synonyme du « sérieux » incompatible avec la joie, c’est pourquoi elle est si faible. On exige d’elle des réponses, la paix, un sens, alors qu’elle n’existe que dans la joie. C’est là sa réponse qui inclut toutes les réponses.

Alexandre Schmemann, Journal (1973-1983)
in seraphim-marc-elie.fr

Aucun commentaire: