L'apôtre Philippe béni par le Christ, 10°s., monastère Sainte-Catherine, Sinaï |
Dans les premières icônes conservées, on observe le plus souvent une sorte d'hésitation entre le souvenir des portraits de l'Antiquité tardive, et la volonté de dépasser les apparences du monde sensible pour essayer d'en révéler l'essence. La réalité perçue par nos sens était mise en doute par la certitude d'une vérité qui la transcendait mais demeurait cachée à nos yeux, alors que notre regard intérieur pouvait l'approcher.
Pour exprimer cette conception du monde en langage plastique, les peintres partent, comme toujours de la tradition qui les précède, en l'occurence de l'art illusionniste du Bas-Empire, dont les formes sont ensuite simplifiées, épurées, dématérialisées et finalement restructurées grâce à une tendance à l'abstraction.
Les personnage sacrés sont représentés de face et soumis à une stricte symétrie - précisément parce que celle-ci n'existe pas dans la nature -, symétrie qui s'applique aussi bien aux visages qu'aux corps. Ils sont immobiles parce que parfaits et, selon les Byzantins, seule l'imperfection pouvait conduire à la volonté de changer d'état; par ailleurs, le mouvement et l'action - inutiles dans la splendeur de l'ordre divin - se situent obligatoirement dans le flux du temps, alors que les figures du Christ et des saints devaient s'inscrire dans une dimension extra-temporelle. Jusqu'au 12° siècle, tous sont impassibles, même la Vierge au pied de la croix. D'une part parce que ces êtres d'exception connaissent le monde divin, de l'autre parce que dominer ses émotions signifiait aussi dominer son corps, ce qui correspondait à l'idéal de l'ascète. L'immobilité et l'impassibilité suggèrent également le silence et la paix. Connaissant l'absolu, le transitoire ne pouvait affecter les personnages sacrés. Les Pères de l'Église définissent parfois l'état de sainteté en invoquant le silence total, sous-entendu celui du corps, des passions et de l'extase. L'âme seule pouvait se mouvoir en s'élevant vers Dieu.
ancienne directrice au CNRS
in "Les premières icônes", éd. Hazan
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