19.1.12

L'OEIL DE LA COLOMBE



Saint Jean le Théologien, 15° s.,
by Andreï Roublev
GalerieTetriakov, Moscou
Le contenu, le message secret de l'icône exprime l'au-delà. Sa lumière éclaire le destin du monde, évoque l'union du terrestre et du céleste. À travers l'imperfection empirique, l'icône suggère la perfection en filigrane, rappelle à l'homme qu'il est à l'image de Dieu dans sa vocation originelle. La crise actuelle de l'art sacré n'est pas esthétique mais religieuse. Le réalisme de l'être et de sa transfiguration fait place au "beau" esthétique où le message secret s'efface devant l'élément purement narratif. Faute de l'art sacré de jadis, il n'y a plus que des oeuvres d'art à sujet religieux.
L'art profane suit les lois optiques qui jettent leur filet sur les choses, les coordonne pour pour constituer une vision homogène de l'en-deçà. Pour s'exprimer, il pose l'unité de l'action, donc le filet du temps, l'unité de la perspective, donc l'unité de l'espace. C'est un point de vue utile pour la vie courante, mais qui n'est pas vision totale, celle de "l'oeil de la Colombe".
Les iconographes n'ignorent rien des techniques picturales, mais n'en font jamais les conditions de leur art. Celui-ci est totalement insensible à la réalité matérielle telle qu'elle se présente à l'optique habituelle, il apprend au spectateur la vraie vision. C'est toute une science spirituelle, une immense culture qui fait sentir, presque palper la "flamme des choses".
Ainsi les rapports entre les dimensions réelles des êtres et des choses n'entrent nullement dans une icône, car elle ne copie pas la nature. La matière est bien vivante, mais elle est comme immobilisée, recueillie, pour prêter l'oreille aux révélations. L'icône déchosifie, dématérialise, allège mais ne déréalise pas. Le poids et l'opacité de la matière disparaissent, et des lignes dorées, fines et serrées, pénétrantes comme des rayons de l'énergie déifiante, spiritualisent les corps. L'anatomie naturelle expressément déformée, de même que l'apparente rigidité ne font que souligner la puissance intérieure qui les anime. C'est le visage qui exprime l'esprit, c'est l'homme intérieur qui affleure. On voit des figures amincies, allongées, d'une grâce extrême
C'est un univers à part, renouvelé, qu'habitent librement les énergies divines et des êtres au visage d'éternité.

Paul Evdokimov, 1901-1970,
professeur de théologie orthodoxe à l'Institut Saint-Serge, Paris
in L'art de l'icône, art divin, éd. Desclée de Brouwer

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