La vénération
des icônes est donc un aspect essentiel de l'expérience
liturgique, c'est-à-dire de la contemplation du Royaume à
travers les actions du Roi. "Sous voile" certes et par la foi, cette
contemplation n'en est pas moins vécue par l'être entier de l'homme, elle a le caractère
immédiat de la sensation, c'est une "sensation des
choses divines" réalisée par l'homme total. La conception orthodoxe de la
liturgie apparaît ainsi inséparable des grandes certitudes de l'ascèse
orientale sur la transfiguration du corps ébauchée
dès ici-bas, sur la perception de la lumière
thaborique par les sens corporels spiritualisés
c'est-à-dire ; non point "dématérialisés"
mais pénétrés et métamorphosés par le Saint Esprit. La liturgie, en effet, sanctifiant
toutes les facultés de l'homme, amorce la transfiguration de ses sens, les
rend capables d'entrevoir l'invisible à travers le visible, le Royaume à
travers le mystère. L'icône, souligne Léonide Ouspensky, sanctifie la vue, et
déjà la transforme en sens de la vision : car Dieu ne s'est
pas seulement fait entendre, il s'est fait voir, la gloire de la Trinité
s'est révélée à travers la chair du Fils de l'Homme. Quand on songe à
l'importance du sens de la vue chez l'homme moderne, à
quel point celui-ci se trouve écartelé, possédé, érotisé par les yeux, à quel point le flux d'images de la
grande ville le rend discontinu, fait de lui un "homme de néant",
on comprend l'importance de l'icône car celle-ci systématiquement
libérée de toute sensualité
(à la différence de tant d'œuvres, au reste admirables, de l'art
religieux occidental), a pour but d'exorciser, de pacifier, d'illuminer notre
vue, de nous faire "jeûner par les yeux" suivant l'expression de saint
Dorothée (cité p. 210). Dans notre civilisation de possession par
l'image, m'écrivait un ami protestant, l'icône
est devenue une urgence de la cure d'âmes.
Olivier
Clément, théologien
orthodoxe
Pour
une théologie de l'icône
église orth.
d'Estonie, en ligne
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